Le genre : comprendre, accueillir, accompagner
Le mot « genre » occupe une place de plus en plus centrale dans les débats sociaux, politiques et psychiques. Parfois célébré, parfois contesté, il interroge nos représentations les plus profondes. Il touche à l’intime, mais aussi au collectif. Il bouscule les normes, les habitudes, les institutions. Et il ouvre, surtout, la possibilité d’un monde plus libre.
Mais que désigne-t-on exactement par ce terme ? Et pourquoi est-il si souvent mal compris ? Pour beaucoup, parler de genre, c’est soulever un flot d’émotions : peur, colère, incompréhension ou au contraire soulagement, joie, reconnaissance. Ce qui est certain, c’est que le genre n’est pas une question secondaire. Il façonne nos existences, nos corps, nos relations dès les premières heures de vie.
Genre : une construction, pas une fatalité
Le genre ne se réduit pas à une réalité biologique. Ce n’est pas l’anatomie qui détermine la place sociale, les comportements attendus, ou l’identité vécue. Le genre, au contraire, est une construction. Une sorte de scénario collectif que l’on apprend dès l’enfance.
Dès la naissance, les bébés sont traités différemment selon qu’ils sont perçus comme garçons ou filles. Les vêtements, les jeux, les mots, les gestes… tout participe à une éducation genrée. Peu à peu, ces apprentissages s’intègrent et deviennent « naturels ». Pourtant, ils sont le fruit d’un long processus d’imitation, de récompenses, de sanctions. Ce que nous appelons « féminin » ou « masculin » est le résultat d’un conditionnement social.
Cela ne signifie pas que tout est arbitraire. Chacun·e vit son genre de manière unique. Il ne s’agit pas de nier les vécus, mais de les contextualiser. Comprendre le genre comme une construction, c’est redonner du pouvoir aux personnes. C’est leur permettre de se dire autrement que selon les normes reçues.
Une diversité de vécus et d’identités
Pendant longtemps, la société a fonctionné selon un modèle binaire : homme ou femme, sans entre-deux. Ce modèle a structuré l’état civil, les lois, les vêtements, les métiers, les relations amoureuses. Pourtant, cette vision ne rend pas compte de la richesse des identités humaines.
Certaines personnes ne se reconnaissent pas dans cette division. Elles peuvent se définir comme non-binaires, agenres, genderfluid, bigender, entre autres. D’autres peuvent ressentir un écart entre le genre assigné à la naissance et leur genre vécu. Ces expériences, bien réelles, ont longtemps été invisibilisées, voire pathologisées.
Reconnaître cette diversité ne menace pas l’ordre social. Elle l’enrichit. Elle nous invite à penser autrement la différence, la liberté, et l’égalité.
Le genre ne se limite pas à deux options. C’est un spectre, un éventail de possibilités. Chacun·e y occupe une place singulière.
Sexe, genre, orientation : mieux distinguer
Pour éviter les confusions, il est utile de distinguer plusieurs dimensions :
Le sexe biologique : il concerne les caractéristiques physiques (organes, chromosomes, hormones), mais ces éléments eux-mêmes ne sont pas toujours parfaitement binaires.
L’identité de genre : c’est la manière dont une personne se ressent intérieurement comme homme, femme, les deux, ni l’un ni l’autre, etc.
L’expression de genre : c’est la façon dont une personne manifeste son genre dans son apparence, sa manière de parler, de se mouvoir.
L’orientation sexuelle : elle désigne vers qui une personne est attirée émotionnellement, sexuellement ou affectivement.
Ces dimensions sont indépendantes. Une personne assignée femme à la naissance peut se sentir homme, non-binaire ou femme. Elle peut être attirée par les hommes, les femmes, ou les deux. Il n’y a pas de combinaison « attendue ». Et il n’y a surtout pas de bonne ou de mauvaise manière d’être soi.
Un système normatif et hiérarchisé
Au-delà des identités individuelles, le genre est aussi un système. Il organise la société. Il répartit les rôles, les droits, les attentes. Il valorise certaines caractéristiques (la force, la rationalité, l’autorité) et en dévalorise d’autres (la douceur, l’émotivité, la dépendance). Il produit des hiérarchies, des privilèges, des exclusions.
Ce système genré est profondément inégalitaire. Il affecte l’accès à l’emploi, aux responsabilités, à la santé. Il se manifeste dans les violences sexistes, les discriminations, le harcèlement. Il agit sur nos corps, nos désirs, nos rêves. Et il commence très tôt, souvent avant même que nous parlions.
Refuser cette organisation rigide ne revient pas à nier les différences entre les individus. Cela consiste à questionner ce qui est imposé. Pourquoi faudrait-il qu’un garçon n’aime pas pleurer ? Pourquoi une fille devrait-elle se méfier de ses ambitions ?
Changer notre rapport au genre, c’est ouvrir des chemins de liberté pour chacun·e.
Le genre, une expérience vivante
Le genre ne se vit pas seulement dans les papiers d’identité ou les mots. Il s’incarne. Il se ressent. Il se transforme. Pour certaines personnes, vivre leur genre est simple. Pour d’autres, c’est un parcours complexe, parfois douloureux. Les normes sociales peuvent provoquer des conflits internes, de la honte, de la peur du rejet.
Certaines personnes doivent mener un combat pour faire reconnaître leur identité. D’autres vivent en permanence dans la dissimulation. Ce poids psychique, souvent invisible, peut avoir des conséquences sur la santé mentale.
Mais le genre peut aussi être une source de créativité, de puissance, de joie. Explorer son genre, c’est parfois redécouvrir une part enfouie de soi. C’est inventer d’autres manières d’exister, d’aimer, de se relier aux autres.
En thérapie
Face à ces questions, la psychothérapie peut offrir un espace précieux. Non pour « corriger » une identité, mais pour permettre à une personne de se dire librement. Pour accueillir la complexité, les doutes, les transformations. Pour soutenir un processus d’appropriation de soi.
Certaines personnes viennent en thérapie avec un malaise diffus. D’autres formulent plus explicitement une question sur leur genre. Il peut s’agir d’un mal-être face aux normes sociales. D’un inconfort corporel. D’un conflit avec la famille. D’un besoin de reconnaissance. Chaque situation est singulière.
Ce qui importe, c’est de proposer un cadre bienveillant, non pathologisant, respectueux de l’autonomie. Il ne s’agit pas de valider ou d’invalider une identité. Il s’agit de l’écouter, de l’accompagner, de la faire résonner.
Une psychanalyse qui se transforme
Dans ce domaine, la psychanalyse a parfois été en retard. Certains courants ont longtemps perçu les identités trans ou non-binaires comme des troubles. Mais d’autres voix, plus récentes, proposent un renouveau. Elles appellent à une psychanalyse émancipée, capable d’entendre les subjectivités minorées.
Laurie Laufer, psychanalyste et chercheuse, écrit ainsi :
« L’écoute analytique peut devenir un lieu de déconstruction des normes, un lieu de subversion, un lieu de parole pour celles et ceux que la société contraint au silence. »
Cette approche invite les thérapeutes à se décentrer. À interroger leurs propres présupposés. À faire place à des discours autres, sans les rabattre sur des catégories établies. Elle ouvre un champ d’exploration, à la fois politique et clinique.
L’espace de la parole, un espace de liberté
En thérapie, le travail sur le genre ne suit pas une trajectoire linéaire. Il peut être fait de retours en arrière, de bifurcations, de silences. Il peut croiser d’autres problématiques : l’estime de soi, les relations familiales, les traumatismes, le désir.
Le·la thérapeute ne doit pas chercher à enfermer dans un diagnostic. Il·elle doit proposer un espace suffisamment souple pour accueillir l’incertitude. La parole peut y circuler librement, sans jugement. Et parfois, c’est cette liberté qui permet le plus grand apaisement.
Vers une société plus inclusive
Parler de genre ne concerne pas uniquement les personnes trans, non-binaires ou en questionnement. Cela concerne tout le monde. Chacun·e vit son genre, le porte, le performe, parfois sans s’en rendre compte.
En ouvrant la réflexion sur le genre, on interroge aussi les injonctions faites aux hommes cisgenres : ne pas pleurer, ne pas être vulnérables, toujours contrôler. On interroge la manière dont les femmes sont encore trop souvent réduites à leur apparence, à leur maternité, à leur docilité supposée.
Penser le genre, c’est donc penser le vivre-ensemble. C’est construire un monde où chacun·e peut trouver sa place, sans avoir à se justifier. Un monde où les normes ne sont plus des prisons, mais des points de départ pour créer autre chose.
Conclusion : écouter, comprendre, libérer
Le genre n’est ni un caprice, ni une idéologie, ni une menace. C’est un élément essentiel de notre vie psychique et sociale. Il mérite d’être pensé avec rigueur, sensibilité et curiosité. Il mérite aussi d’être vécu dans la liberté.
Accompagner les personnes dans leur cheminement identitaire, c’est refuser les assignations. C’est faire confiance à leur capacité à dire ce qu’elles sont. C’est ouvrir un espace d’écoute, sans condition.
La parole peut tout changer. La reconnaissance aussi. Et c’est peut-être là que se joue le cœur du genre : dans cette rencontre entre soi et l’autre, où chacun·e peut enfin être accueilli·e dans sa vérité.
Pour compléter cet article , voici le lien vers une vidéo :
et un conseil lecture:

« Ceci n’est pas un livre sur le genre » de Morgan N.Lucas