Comprendre la thérapie des schémas de Jeffrey Young
Lorsque l’on entreprend une psychothérapie — pour un mal-être persistant, une anxiété, des difficultés relationnelles ou une estime de soi fragile — on peut constater que certaines souffrances intérieures résistent, malgré les prises de conscience ou les efforts pour changer. Comme si une partie de nous, plus ancienne et plus profonde, continuait à souffrir, à se protéger ou à reproduire des scénarios douloureux.
La thérapie des schémas, développée par Jeffrey Young, propose un cadre puissant pour comprendre ces mécanismes. Même sans pratiquer cette approche de manière exclusive, de nombreux·ses thérapeutes intégratifs y trouvent des repères utiles pour accompagner les personnes en souffrance.
Une approche intégrative centrée sur les besoins émotionnels
La thérapie des schémas est une méthode intégrative : elle emprunte à la thérapie cognitive-comportementale, à la théorie de l’attachement, à la psychanalyse, à la gestalt-thérapie et à la psychologie humaniste. Elle repose sur une idée centrale : certaines souffrances psychiques trouvent leur origine dans des besoins émotionnels fondamentaux non satisfaits dans l’enfance, et les schémas qui en résultent se réactivent encore à l’âge adulte.
Ces « schémas » ne sont pas de simples croyances. Ce sont des structures mentales profondes, mêlant pensées, émotions, souvenirs corporels et comportements automatiques. Lorsqu’un schéma s’active, la personne réagit selon un modèle souvent rigide, parfois disproportionné ou douloureux, sans toujours en comprendre la cause.
Qu’est-ce qu’un schéma ?
Un schéma précoce inadapté (ou simplement « schéma ») est une sorte de filtre émotionnel et cognitif, construit dès les premières années de vie, souvent dans la relation aux figures d’attachement (parents, éducateur·ices, proches). Il représente une conclusion profonde tirée par l’enfant à partir de ses expériences affectives : « Je ne mérite pas d’être aimé·e », « Je dois être parfait·e pour être accepté·e », « Je suis seul·e et personne ne viendra m’aider ».
Ces schémas se forment lorsque des besoins émotionnels essentiels ne sont pas comblés de manière suffisamment constante : sécurité, affection, reconnaissance, validation, autonomie, limites bienveillantes.
Par exemple :
Un·e enfant dont l’un des parents est très instable, absent ou peu fiable sur le plan affectif peut développer un schéma d’abandon : la conviction que les personnes importantes vont inévitablement s’éloigner, disparaître ou le/la rejeter. Ce schéma, une fois ancré, peut rendre l’adulte très anxieux·se dans les relations affectives, toujours en alerte, avec la peur d’être laissé·e de côté.
Un autre exemple central est celui du schéma de carence affective. Il se construit chez une personne ayant grandi dans un environnement émotionnellement pauvre ou distant, où les gestes d’affection, la tendresse ou l’écoute bienveillante étaient rares ou absents. Ce schéma engendre un sentiment profond d’être privé·e d’amour, de réconfort ou de soutien. À l’âge adulte, cela peut se manifester par un vide intérieur, un besoin intense d’attention (parfois jugé « excessif » par les autres), ou encore par des relations où l’on donne beaucoup sans oser demander en retour, dans l’espoir d’être enfin reconnu·e.
Ces schémas ne sont pas « irrationnels » : ils étaient, à un moment donné, des adaptations nécessaires à des contextes relationnels défaillants. Le problème survient lorsqu’ils continuent à se réactiver alors que les circonstances ont changé, maintenant ainsi une souffrance inutile.
Trois stratégies d’adaptation à un environnement hostile
Face à un environnement qui ne répond pas à ses besoins affectifs fondamentaux, l’enfant n’a pas les ressources pour se rebeller ou se protéger pleinement. Il ou elle développe alors des stratégies d’adaptation pour survivre psychiquement. Young en identifie trois principales :
L’acceptation soumise (ou capitulation) : la personne se résigne à son schéma et s’y adapte. Par exemple, elle accepte des relations instables ou abusives car « c’est ce qu’elle mérite ». Elle rejoue alors inconsciemment les dynamiques vécues dans l’enfance, sans les remettre en question.
La fuite (ou évitement) : la personne tente de ne pas ressentir la douleur du schéma. Elle évite les relations intimes, s’anesthésie émotionnellement ou se distrait de manière compulsive (travail, addictions, perfectionnisme) pour ne pas revivre la blessure.
La surcompensation (ou combat) : la personne agit à l’opposé du schéma pour tenter de prouver qu’il est faux. Par exemple, une personne ayant un schéma d’imperfection peut devenir très critique envers les autres, ou adopter une posture arrogante pour masquer son insécurité.
Ces modes d’adaptation ont permis, un temps, de maintenir un équilibre psychique. Mais à l’âge adulte, ils deviennent souvent source de souffrance et de rigidité relationnelle. En thérapie intégrative, pouvoir repérer ces stratégies aide à ouvrir un espace de choix : puis-je faire autrement aujourd’hui ?
Une cartographie émotionnelle : les 18 schémas de Young
Jeffrey Young a identifié 18 schémas précoces inadaptés, répartis en cinq grands domaines correspondant à des besoins fondamentaux de l’enfance :
Détachement et rejet : sentiment que l’on ne peut compter sur les autres pour recevoir affection, sécurité ou compréhension.
Altération de l’autonomie et de la performance : croyances de dépendance, d’échec ou d’incompétence.
Limites altérées : difficulté à se fixer des limites ou à respecter celles des autres.
Orientation vers les autres : tendance à s’oublier pour plaire ou éviter les conflits.
Surveillance inhibitrice : rigidité morale, perfectionnisme, suppression des émotions.
Chaque schéma possède une valence émotionnelle forte, et lorsqu’il est activé, il génère des comportements parfois extrêmes : retrait, soumission, évitement, crises de colère, besoin excessif de contrôle ou d’attention.
Les modes : comprendre les états internes en mouvement
La thérapie des schémas introduit aussi un concept essentiel : celui de mode. Alors qu’un schéma est relativement stable, un mode est un état temporaire, activé dans l’instant, qui colore notre manière d’être et de réagir.
Par exemple, une personne peut, selon les circonstances, passer du mode :
Enfant vulnérable (envahie par la peur d’être abandonnée ou humiliée),
au mode parent critique (auto-jugement sévère),
au mode adulte suradapté (tentative de plaire pour éviter le rejet),
ou, idéalement, au mode adulte sain, capable de prendre soin de soi, de poser des limites et de réagir avec discernement.
Identifier ces modes permet d’éviter la confusion : on n’est pas « trop ceci ou cela », mais en train d’activer une partie blessée ou protectrice de soi. C’est une approche profondément déculpabilisante et responsabilisante.
Quel apport dans une psychothérapie intégrative ?
Même dans une approche intégrative non centrée sur la thérapie des schémas, ces concepts peuvent enrichir la compréhension du·de la patient·e, ouvrir des pistes de travail et favoriser des prises de conscience.
Voici quelques bénéfices concrets :
Donner des mots clairs aux répétitions douloureuses : « Je remarque que je m’efface toujours dans mes relations » peut devenir « J’active un schéma de soumission pour éviter le rejet ».
Comprendre les conflits internes : entre l’enfant qui souffre, le parent qui critique, l’adulte qui se suradapte, etc.
Ouvrir à une lecture émotionnelle de l’histoire personnelle, sans se limiter à l’analyse intellectuelle.
Offrir un cadre de travail souple, intégrant le récit biographique, le vécu émotionnel et les dynamiques relationnelles.
Certaines personnes arrivent en thérapie avec des discours très construits, rationnels, mais ressentent qu’« il manque quelque chose ». L’introduction des schémas peut permettre de descendre d’un cran, d’entrer dans une compréhension incarnée, émotionnelle, plus ancrée dans le vécu.
La relation thérapeutique comme espace de réparation
Un des aspects les plus puissants de la thérapie des schémas est l’idée de reparentage limité. Dans les limites strictes du cadre thérapeutique, le·la thérapeute devient, pour un temps, une figure de soutien, de contenance, d’écoute et de validation. Ce n’est pas une régression infantile, mais un processus réparateur, qui permet de vivre une expérience relationnelle nouvelle : une figure stable, fiable, empathique, qui pose des limites et reconnaît les besoins émotionnels.
Par cette relation, le·la patient·e peut petit à petit :
Identifier ses schémas et leurs origines,
Ressentir, au lieu de fuir ou de rationaliser,
Apprendre à se traiter avec plus de compassion,
Développer un mode adulte sain, capable de prendre soin des autres parties blessées de soi.
Ce travail demande du temps, mais il est profondément transformateur. Il s’agit de sortir du pilotage automatique pour faire des choix plus libres, plus ajustés, plus doux envers soi-même.
Une approche accessible à toutes et tous
Il n’est pas nécessaire d’avoir un diagnostic spécifique pour bénéficier des apports de la thérapie des schémas. Toute personne qui se sent prise dans des répétitions émotionnelles douloureuses, qui ressent une lutte intérieure persistante ou qui perçoit un écart entre ce qu’elle voudrait vivre et ce qu’elle vit réellement peut y trouver un outil de compréhension et de changement.
Que ce soit dans une psychothérapie centrée sur la parole, le corps, les émotions ou l’intégration de différents niveaux d’expérience, les schémas offrent un fil rouge cohérent pour relier le passé au présent et accompagner la personne vers un avenir plus libre.
En conclusion
La thérapie des schémas de Jeffrey Young est bien plus qu’une méthode : c’est une vision de l’être humain comme profondément influencé par ses besoins affectifs précoces, mais aussi capable de transformation, de réparation et d’autonomie intérieure. Dans une pratique thérapeutique intégrative, elle constitue un apport précieux pour enrichir la compréhension clinique, fluidifier le travail émotionnel, et offrir des repères concrets pour sortir des cercles douloureux.
Prendre conscience de ses schémas, ce n’est pas se condamner à vivre avec. C’est, au contraire, le premier pas vers une relation plus juste à soi-même et aux autres — plus douce, plus lucide, plus libre.
Pour compléter cet article , voici le lien vers une vidéo :
et un conseil lecture:

« Je réinvente ma vie » de Jeffrey E. Young et Janet S. Klosko aux Editions de l’homme