Fratrie, adelphie, sororité : comprendre la force des liens entre frères et sœurs (et pourquoi en parler en thérapie)
Quand on parle de ce qui façonne notre personnalité, on pense souvent à nos parents, à nos amis, à nos expériences scolaires. Mais il est un lien tout aussi puissant et parfois oublié : celui de la fratrie — c’est-à-dire les relations entre frères et sœurs.
Qu’il s’agisse de liens fraternels, de complicités sororales ou de rivalités complexes, nos relations avec nos frères et sœurs tissent une trame invisible qui influence notre manière d’aimer, de travailler, de nous affirmer. L’adelphie, ce terme encore peu utilisé, désigne l’ensemble des relations entre frères et sœurs, sans distinction de genre.
À travers cet article, nous explorons la relation entre frères, la relation entre sœurs, la force de l’adelphie et de la sororité, et pourquoi travailler ces liens en psychothérapie peut profondément enrichir notre compréhension de nous-mêmes.
La fratrie : notre première expérience de la vie en société
Sociologiquement, la fratrie est notre premier « laboratoire social ». Avec nos frères et sœurs, nous apprenons dès l’enfance à partager, à négocier, à coopérer et à gérer les conflits.
La sociologue Martine Gross souligne combien, dans les familles contemporaines — recomposées, monoparentales, homoparentales —, la fratrie peut devenir un repère encore plus solide que le lien parental, parfois mis à mal par les séparations.
Qu’il s’agisse de frères ou de sœurs, cette expérience précoce du collectif nous prépare à la vie sociale : apprendre à exister parmi d’autres, à être reconnu, mais aussi à défendre sa place.
Relation entre frères et sœurs : entre miroir et rival
Entre frères, la dynamique est souvent marquée par la rivalité (qui est le plus fort, le plus rapide ?) mais aussi par une solidarité silencieuse. La confrontation physique ou sportive peut dominer, tout en créant des liens profonds d’alliance.
Entre sœurs, la sororité vient souligner la capacité d’entraide, de confidences, mais aussi des rivalités plus subtiles liées à l’apparence, au succès, à l’affection reçue. Ce lien peut être à la fois une source de soutien et de comparaisons douloureuses.
Sigmund Freud, dans Totem et Tabou, a montré combien la rivalité fraternelle est constitutive de notre développement psychique : aimer et haïr son frère ou sa sœur sont des mouvements psychiques primitifs qui coexistent et participent à la structuration de l’identité.
Donald Winnicott, de son côté, a mis en lumière la dimension créatrice de la rivalité fraternelle : loin d’être seulement destructrice, elle pousse à se différencier et à construire son individualité.
Adelphie et sororité : deux dynamiques essentielles
L’adelphie renvoie à la complexité des relations entre frères et sœurs en général, tandis que la sororité désigne plus spécifiquement la solidarité féminine. Cette dernière a pris une importance particulière dans les mouvements contemporains, comme une revendication de soutien émotionnel entre femmes, au-delà des liens biologiques.
Dans les relations entre sœurs, la sororité peut être un appui majeur : partage de récits intimes, protection réciproque, transmission de modèles. Mais elle peut aussi être marquée par des blessures : sentiments de comparaison, rivalités silencieuses, jalousies anciennes.
Pourquoi travailler la fratrie en psychothérapie ?
En thérapie, les relations fraternelles émergent souvent rapidement, même si l’on vient parler d’autres sujets.
Serge Tisseron souligne que la fratrie est un espace de répétition des enjeux œdipiens et narcissiques. Travailler ces liens permet de :
Repérer les rôles que l’on a endossés enfant (le protecteur, le rebelle, le médiateur…),
Comprendre les blessures encore vives (injustice ressentie, sentiment d’abandon ou d’écrasement),
Identifier les ressources affectives issues de la fratrie,
Sortir des schémas inconscients que l’on rejoue dans les relations amicales, amoureuses ou professionnelles.
Entre frères ou entre sœurs, explorer ces dynamiques permet de donner un sens nouveau aux fidélités invisibles ou aux conflits figés.
Frères, sœurs : blessures et forces à redécouvrir
La relation fraternelle peut laisser des cicatrices — sentiment d’être moins aimé, blessures de rivalité, conflits irrésolus. Mais elle recèle aussi des forces immenses : souvenirs de solidarité, partages intimes, reconnaissance d’un amour inconditionnel.
En thérapie, revisiter ces moments permet de :
Réparer certaines blessures narcissiques,
Réactiver les ressources affectives issues des alliances fraternelles,
Libérer des potentialités nouvelles dans sa vie affective et sociale.
Fratries d’aujourd’hui : entre recomposition et choix
Avec les familles recomposées, les liens de fratrie sont parfois moins « donnés » que dans les familles traditionnelles. Demi-frères, demi-sœurs, nouveaux liens affectifs construits par choix et non par simple biologie…
Ces nouvelles formes d’adelphie offrent des opportunités, mais aussi des défis : trouver sa place, surmonter les rivalités, cultiver de nouveaux liens d’attachement.
Explorer ces réalités contemporaines en psychothérapie aide à assouplir son rapport au passé familial et à s’ouvrir à de nouvelles manières d’aimer.
En conclusion : réconcilier son histoire fraternelle
Que l’on soit frère ou sœur, aîné ou cadet, la fratrie constitue un socle fondateur de notre vie psychique et sociale. Comprendre les dynamiques d’adelphie et honorer la richesse de la sororité permettent de mieux saisir nos propres fonctionnements relationnels.
La psychothérapie offre un espace privilégié pour revisiter, apaiser, et transformer ces liens anciens, qu’ils soient marqués par l’amour, la rivalité, la tendresse ou le conflit.
Car mieux comprendre ses frères et sœurs, c’est souvent commencer à mieux comprendre ses propres forces, ses propres fragilités… et à s’aimer un peu plus soi-même.
Notes :
Sociologues et psychanalystes cités :
Martine Gross (sociologie de la famille contemporaine)
Sigmund Freud (Totem et Tabou)
Donald Winnicott (rivalité créatrice et individualisation)
Serge Tisseron (fratrie et processus de répétition psychique)